Interview du mois de février : Flore Gracia et Romain Legendre
- Equipe Elite Athletes Track
- 6 mars 2024
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 avr. 2024
Bonjour à tous, à l'approche des championnats Nationaux NCAA D2 à Pittsburg, Kansas nous sommes allés à la rencontre de Flore Gracia (Minnesota State University) et Romain Legendre (Adams State University). Tous deux occupent la première des bilans NCAA D2 indoor. Flore avec 13m28 au triple saut et Romain avec 13'24“09 sur 5000m.

Flore GRACIA :
Elite : Pourrais-tu te présenter s’il te plaît ?
Flore : Je m’appelle Flore Gracia, je viens de Thionville en Moselle, je fais actuellement une licence de Management du sport dans le Minnesota à l’université de Minnesota State University, et je vais graduer en Mai 2024.
Elite : Tu viens de réaliser un gros record au triple saut : 13m28, comment expliques-tu une telle progression ?
Flore : Je sais depuis un moment que je suis capable de sauter à ce niveau voir plus.. J’ai eu un déclic depuis l’année dernière, j’ai beaucoup travaillé à la musculation pour être forte physiquement, car je ne suis pas une sauteuse de nature, donc on passe par le côté physique. En parallèle de ça j’ai compris qu’il fallait croire au process et faire confiance à mes coachs. De plus avec une team comme j’ai cette année on ne peut que faire des performances, on se motive les un avec les autres, c’est vraiment une team exceptionnelle.
Elite : Tu es première aux bilans provisoires NCAA D2, comment abordes-tu les Nationaux ?
Flore : Oui je suis première au bilan, j’aborde cette compétition comme une autre, je me mets aucune pression, de plus c’est ma dernière compétition avec la team car je n’ai pas de saison outdoor, donc la seule chose que je veux c'est m'amuser et pourquoi pas ramener le gros trophée à la maison.
Elite : Quels sont tes objectifs pour la suite de la saison ?
Flore : Tout d’abord les Nationaux, j’ai juste envie de continuer dans ma lancée, et bien sûr monter au plus haut sur la boîte mais également au niveau de ma performance. Je n’ai pas de saison outdoor avec la team donc après la saison indoor je vais continuer à m’entraîner pour préparer la saison en France.
Elite : Quel bilan tires-tu de ton expérience aux USA jusqu’ici ?
Flore : Le bilan ? J’ai pris la meilleure décision de ma vie. Cette expérience m’a fait énormément grandir en tant que personne, j’ai rencontré des gens incroyables, j’ai beaucoup voyagé dans le pays, mais surtout j’ai pu concilier études et sport à un certain niveau, ce qui n’est pas forcément le cas en France.
Elite : Quels sont tes objectifs pour la suite de la saison ?
Flore : Mes projets pour la suite, après avoir gradué en mai, je souhaite continuer sur un Master et intégrer officiellement le groupe de Mickael Hanany, qui m’a suivi depuis toutes ces années aux USA. Je me donne encore quelques années en athlétisme pour voir où ça peut m’amener car je sais que je peux aller plus loin que 13m28.
Romain LEGENDRE :
Elite : Pourrais-tu te présenter s’il te plaît ?
Romain : Romain Legendre 24ans, demi-fondeur actuellement aux US à Adams State University. J’étudie un master business (MBA). Cela fait un semestre et demi que je suis parti aux US pour pouvoir continuer à étudier tout en pratiquant l’athlétisme au plus haut niveau. Avant mon départ j’ai obtenu un bachelor en école de commerce (INSEEC), continuer la course à pied a toujours été ma priorité.
Ancien spécialiste du 1500m je suis désormais passé sur 5000m, distance que j’apprécie énormément et sur laquelle je me sens le mieux.
Elite : En décembre tu as réalisé la 3ème meilleure performance française (tous temps) sur 5000m avec un très gros 13’24, pourrais-tu nous parler de cette performance ?
Romain : C’est l’un de mes meilleurs souvenirs sportifs ! 2 semaines avant de courir ce 5000m (qui n’était pas spécialement prévu comme un objectif majoritaire) se déroulaient les championnats nationaux de cross-country DII. On avait de grandes ambitions avec l’équipe (la victoire clairement) et de mon côté je savais que je pouvais jouer devant. Il se trouve que rien n’est s’est passé comme prévu, la pression sans doute mais aussi l’approche de la course était mauvaise… On s’est tous planté: 55ème individuel et 6ème par équipe, un vrai coup dur, le premier de mon expérience américaine. Ne savant pas si j’allais vraiment courir à Boston, suite à cet échec je me devais de me rattraper, pour le coach, pour l’équipe, pour moi et mon orgueil aussi^^. Donc je me suis pointé à Boston avec l’envie de rédemption, je savais que j’avais un bon chrono dans les jambes.
La course s’est déroulée comme je l’avais prévue avec mon coach et assistants coachs, patienter jusqu’au 3000m dans les 6 premières places puis ensuite “make the move” pour accélérer et aller chercher un chrono. Je prends la tête à 1600m de l’arrivée, on était sur de bonnes bases 8’05 au 3000m mais je sens que ça ralentit (les lièvres s’écartent au 3000m). Une fois que t’es devant y’a plus trop de questions à se poser… Tu te concentres pour garder l’allure ou accélérer et rester relâché ; la salle à Boston est assez unique, le public est très proche de la piste et les américains pour encourager sont des grands malades mentaux!!! Je me sens bien, je vois qu’au 4000m on est sur les bases de 13’28 (record national DII) et je continue mon effort, c’est dans ces moments que c’est jouissif, tu sens que ça répond quand tu pousses et que tu craques pas. Au final, je me retrouve dans le dernier 300m à me battre au sprint avec Nico Young (initialement pacer de la course mais trop orgueilleux pour me laisser gagner, c’est pas un touriste, il a couru 7’37 au 3000m 3h avant lol), on finit assez fort et je n’ai connaissance du chrono qu’après avoir franchi la ligne, et que mes teammates viennent me sauter dessus !
Pour être honnête je n’avais même pas conscience que j’étais top3 all time en France, j’étais venu pour battre le record national DII. Mon départ aux US est principalement motivé par volonté de continuer un cursus scolaire tout poursuivant mon rêve de très haut niveau, mais également parce que j’ai été trop déçu du système sportif (et même scolaire) français… J’avais besoin d’aller chercher un réel cadre avec une vraie culture du sport, aux US les athlètes ont beaucoup plus de lumière, ils sont référencés, ils sont mis en avant par pleins de médias, y’a des lives de toutes courses, le public est bien plus engagé et puis dans ton université t’es vraiment supporté ! Ce ne sont pas les misérables aides que tu peux obtenir en mendiant auprès des collectivités ou de la fédé (heureusement pour pas mal d’athlètes en France c’est en train de changer ! ).
Elite : On sait que t’es plutôt un coureur de long maintenant, mais récemment tu as réalisé 3’56 au mile (chrono converti). Avec une telle référence, envisages-tu de refaire des distances plus courtes, notamment du 1500m ?
Romain : Alors pour préciser ma perf, j’ai réalisé 4’01 au mile mais à 1800m d’altitude donc il y a une conversion qui s’applique à la performance par rapport aux conditions d’altitude. Mais ça reste une très bonne perf encourageante qui m’a rappelé pourquoi je kiffais le 1500m, pourquoi pas cet été refaire un peu de 1500m, c’est de toute manière essentiel dans la prépa pour le 5000m. Surtout que je pense repousser mes envies de 10000m à l’année prochaine, pour laisser le temps à mon corps de vraiment adopter la distance.
Elite : Peux-tu nous parler de ton environnement aux US, de ton rythme d’entraînement ?
Romain : Je suis à Adams State University, un petite DII située au fin fond du Colorado dans la ville d’Alamosa à 2300m d’altitude. Ça peut paraître un peu le bout du monde (et ça l’est) mais c’est la Mecque de la course à pied, tout le monde court, ou a couru, ou supporte l’équipe d’Adams State car c’est le programme de XC/T&F le plus titré des États-Unis !
Alamosa est située sur un plateau à 2300m d’altitude, on est encerclé par les montagnes (des sommets à 5000m !), c’est sublime. Les conditions d’entraînement sont vraiment bonnes, il fait quasiment tous les jours soleil, il peut faire très froid (le plus bas en pleine journée, j’ai eu -22 sur un footing) mais c’est un froid sec donc moins désagréable. Étant un plateau, tu peux faire 30km de footing avec 5m de D+ (c’est à dire rien), t’as tous types de sols mais principalement des chemins en terre ou petits cailloux donc pour faire des kilomètres c’est génial. On a des infrastructures tout à fait correctes, avec une piste outdoor, une piste indoor de 200m, des tapis roulants, de plus, le coach a investi pour la récup: bottes de présso, bains froids, pistolet de massage, dry niddling, cupping, game ready, massage… accessible quasiment quand on veut.
Le coach Damon Martin aussi est une légende aux US, il connait tout, il sait parler aux athlètes et j’adore son approche de la course à pied et comment il veut qu’on atteigne l’excellence ! Je m’entends très très bien avec lui et je suis heureux qu’Elite m’ait dirigé vers ce coach (que j’espère garder après mon college).
Pour finir, le groupe d’entraînement, c’est une furie mentale, le groupe des gars comme des filles est hyper dense, on peut parfois être 50 au départ des séances ! Quand t’es à Adams State, tu sais que t’es là pour t’entraîner, tout le monde est sérieux ou tente de l’être et ce cadre te pousse vraiment à être au plus haut niveau. Y’a pas de soirée, y’a pas boîte de nuit, y’a pas de voyage découverte, mais y’a des sessions d’étirements, des watching party de courses, des repas à base de pâtes, de pâtes et de pâtes. Cette année quand tu vois les résultats de l’équipe je me dis que je suis au bon endroit (je te laisse aller checker TFRRS Adams State ;) )
Au niveau de l'entraînement quand tout va bien, c’est environ 160km par semaine, avec 2 jours de séances : mardi : avec le matin seuil ; et l'aprem la grosse séance rapide de la semaine, et vendredi : double seuil. Lundi c’est endurance, mercredi mid week long run (donc environ 1h35-1h40 de sortie), jeudi et samedi très light et dimanche sortie longue avec entre 25 et 32km (je parle pour moi coureur de 5k/10k, pour les miler et coureur de 800m c’est moins). Ajoutées à ça, 2 séances de muscu par semaine, c’est assez léger, pour cet aspect de l'entraînement on n'est pas très cadré (dommage) mais on a une super salle à disposition.
En résumé, j’adore Adams State, les paysages sont sublimes, je suis au bon endroit pour être performant et continuer mon projet de devenir le meilleur athlète possible.
Elite : Tu t’es malheureusement blessé il y a quelques semaines, comment se passe la “recovery”, et comment abordes-tu dans ce contexte les Nationals NCAA D2 qui se dérouleront le 8 et 9 mars ?
Romain : J’ai la poisse avec l’hiver, j’ai tous les ans des galères. Cette année je pensais vraiment passer au travers des pépins physiques mais je crois que mon karma ne veut toujours pas… À cause de courir dans la neige et sur tapis, 2 sols que je n’ai pas du tout l’habitude de pratiquer et qui sont diamétralement opposés en terme d’impact sur la foulée, je me suis fait une inflammation du tendon rotulien. C’était la grosse déprime clairement, parce qu’Alamosa quand tu t'entraînes pas, y’a rien à faire… Le genou c’est délicat, ce n’est pas l’impact qui me faisait mal mais la rotation de la jambe lors de la foulée.
J’ai donc pris une semaine complète de repos, où je me suis focus sur le peu de renfo pas contraignant que je pouvais faire: abdos, gainage, mollets, tendons d’Achille, voûte plantaire, fessiers, quadri. C’était long, très long. J’ai recommencé très légèrement la course à pied par 10’ cool, en augmentant chaque jour par 5’, le genou étant moins douloureux j’ai pu à côté faire du renfo plus intense mais surtout j’ai découvert l’aquajogging, mais pas l’aquajogging galère où tu survis pour traverser la piscine, là y’a des chaussures de running trouées au niveau de la semelle ou un élastique passe à l’intérieur pour aller s’accrocher sur le bord de la piscine. Donc tu peux gérer la difficulté de l’effort et on a des ceintures pour flotter, c’est vraiment très très proche de la course à pied. Au niveau des soins, aux US il y a tout à disposition mais les “trainers” (les kinés en gros) ne sont pas très délicats et investis, en tout cas c’est très loin des connaissances et pratiques françaises. J’ai vu avec mon kiné en France ce que je pouvais faire et j’ai ensuite utilisé le matériel à dispo : ultrasons, game ready, bains froids, patchs anti-inflammatoires, electro-stimulation.
Malheureusement j’ai manqué le meeting de Boston que j’avais prévu de faire sur 3000m, meeting où mes teammates ont tout cassé : 7’44 chez les gars et 8’58 chez les filles, 2 records DII. J’ai manqué aussi le meeting de Washington où j’avais prévu de faire un mile pour me rapprocher des 3’52-3’53…
Je préfère être en bonne santé et à 100% pour les nationaux indoor et la saison outdoor qui arrive très vite. Ainsi, j’aborde les nationaux sans pression, je vais m’aligner uniquement sur 5000m et tenter de rapporter un maximum de points pour l’équipe, c’est une course d’un jour, je ne serai certes pas à ma meilleure forme, mais si je suis 100% en bonne santé je peux quand même être compétitif, et puis j’aurais plus faim que n’importe qui ! Je les prends comme un premier step dans mon retour à l’intensité maximale et ça va me lancer pour l’outdoor.
Elite : Quels sont tes objectifs pour la suite de la saison ?
Romain : Pour l’outdoor, j’avais de très grandes ambitions sur 5000m/10000m, ce pépin au genou qui m’a fait perdre quasiment 3 semaines d’entraînement intenses me fait revoir certaines choses à la baisse et me remet les pieds sur terre. Il faut savoir que la saison outdoor s’enchaîne quasiment directement après l’indoor, et que je ne vais pas avoir tant de courses que ça (fin mai c’est terminée la saison aux US !).
Pour cet été, je vais surtout me concentrer sur le 5000m, j’espère courir aux alentours des 13’18, passer sous les 13’20 est clairement mon objectif et ensuite aller gagner les nationaux DII, je pense aussi faire un ou deux 1500m en préparation du 5000m et parce que je me dis que sur un malentendu je peux aussi aller vite !
Enfin, le projet 10000m reste dans ma tête, ça dépendra de comment je me sens à l’approche des gros meetings (comme celui à Stanford par exemple 3 semaines après les nationaux indoors) mais je ne veux pas tout mélanger, ma priorité reste le 5000m.
Mes objectifs restent aux US pour l’instant, je ne me projette pas sur une potentielle saison en France. Avec les Jeux tout est avancé, la seule chose serait d’aller aux Elite sur 5000m où je me dis que je peux kiffer courir avec les meilleurs Français !
Un grand merci à Flore et Romain pour leur temps et à fond derrière eux pour les Nationaux NCAA D2 qui se dérouleront le 8 et 9 mars à Pittsburg, Kansas.
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